L'histoire d'un cheminement collectif

L’histoire du Collectif des Possibles, à travers le regard de Ouishare, retrace trois années d’expérimentation : des actions,  des réflexions, des partis-pris, des enseignements mais aussi des questions restées en suspens. Surtout, il donne à voir la relation qui s’est tissée entre les acteurs du projet : les habitants de Roubaix, les associations locales, les acteurs publics, des entreprises, Participation et Fraternité, le collectif Ouishare et la Fondation Rexel.

Introduction : Pour commencer, une mise en contexte s’impose…

A- Au départ, un enjeu social : la précarité énergétique

Les chiffres de l'Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE) montrent qu’au cours de l’hiver 2020-2021, 20 % des français déclarent avoir eu froid pendant au moins 24 heures. Pour quelles raisons ? 40 % d’entre eux évoquent une mauvaise isolation thermique de leur logement ; 36 %, des raisons financières. Avec l’augmentation des prix de l’énergie, le chiffre de 12 millions de personnes en situation de précarité énergétique est indubitablement amené à augmenter dans les prochaines années.

La précarité énergétique recouvre plusieurs situations et définitions. Sa définition objective renvoie à la part des dépenses énergétiques de chauffage dans les revenus des foyers : celles et ceux qui y consacrent plus de 10% sont considérés comme étant en situation de précarité énergétique. La définition subjective s’intéresse quant à elle à la sensation de froid et d’inconfort : est en situation de précarité énergétique « [Une] personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat » (1).

Face à ce problème de société, différents plans et politiques ont été mis en œuvre : principalement des aides financières, soit pour payer les factures (comme le Chèque Énergie) soit pour payer les travaux de rénovation énergétique des logements (comme MaPrimeRénov’). Cependant, il n’est pas aujourd’hui possible d’affirmer que ces aides ont permis de réduire significativement le problème de la précarité énergétique, comme le relève le dernier audit flash réalisé par la Cour des Comptes sur l’élargissement du dispositif MaPrimeRénov’ en 2021 (2).

L’importance du phénomène de non-recours explique en partie ce constat d’impuissance des différentes aides mises en place. A titre d’exemple, l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) pointe le fait que 78% des enquêté-es ne connaissent pas les aides financières de rénovation thermique (crédit d'impôt, prime Rénov’) auxquelles elles et ils pourraient pourtant prétendre, et 38% ne connaissent pas celles pour alléger les charges d'énergie (Fonds solidarité logement, chèque énergie) (3). Un rapport de la Cour des Comptes donne quant à lui le nombre de 25% des ménages ayant reçu le chèque Énergie et ne l'ayant pas utilisé, en 2019 (4).

SOURCES ET NOTES

1/ Loi Grenelle 2, 2010 : Lien vers légifrance

2/ Cours de Comptes, Le déploiement par l’Anah du Dispositif « MaPrimeRénov’ » : premiers enseignements, Septembre 2021

3/ Le Monde, Précarité énergétique : pour contrer le non recours aux aides, une amélioration de l’information nécessaire, 2 octobre 2021.

4/ Rapport de la Cour des comptes dédié à l’exécution du budget 2018 publié en mai 2019

Comment expliquer ce non recours ?

Le rapport de la Cour des Comptes précité avance plusieurs idées : non réception du chèque (par exemple liée à un changement d'adresse), incompréhension sur la manière de l'utiliser, perte ou refus de l'utiliser (du côté des ménages et des fournisseurs d'énergie). Du côté des aides à la rénovation, le montant du reste à charge ou encore la technicité des travaux à engager serait responsable d’une partie du non recours. Mais cela n’explique pas tout.

La non prise en compte des facteurs d’ordre psychosocial expliquent une partie importante du non recours aux aides mises en place.

En effet, de nombreux rapports traitant de la précarité énergétique, et notamment une enquête longitudinale réalisée par l’ONPE en 2021 (5), révèlent la superposition des précarités, qui n’est jamais seulement énergétique.

SOURCES ET NOTES

5/ ONPE, Suivi d’une cohorte de 30 ménages en précarité énergétique accompagnés et non-accompagnés. Analyse des leviers et des freins à la sortie de la précarité énergétique. Premiers éléments de synthèse de l’enquête longitudinale. 9 novembre 2021.

Elle se couple souvent avec des formes de précarité financière, professionnelle, géographique, sociale… La précarité énergétique résulte donc d’une situation de précarité tout court, c’est-à-dire de pauvreté et de vulnérabilité psychosociale. Lorsque nous interrogeons des habitantes en situation de précarité énergétique à Roubaix, ils et elles nous parlent pas d’impayés mais de honte, d’isolement, de peur, de dépression, d’addiction… Autrement dit, les dispositifs de lutte contre la précarité énergétique, en se focalisant sur ses aspects matériels, ratent la dimensions psycho-sociale des situations de précarité énergétique.

Face à ce constat, le Collectif des Possibles - un groupe rassemblant aussi bien des habitants roubaisiens en situation de précarité énergétique que des associations, des artisanes et une fondation - s’est donné pour objectif de mettre chaque personne en capacité de comprendre et de faire des choix par rapport à son logement et à sa situation énergétique. L’intention ? Donner davantage de pouvoir d’agir à chacune, avec l’espoir qu’ils et elles puissent sortir de la précarité tout court, et pas seulement de son volet énergétique.

Pour ce faire, la Fondation Rexel, accompagnée d’associations comme Ouishare et Participation et Fraternité a initié et testé, pendant plus de trois ans, un espace d’écoute et d’entraide entre des personnes et organisations d’horizons différents. Cette initiative est issue de deux hypothèses. La première consiste à dire que pour aborder le sujet de la précarité énergétique, nous devons admettre que le sujet est complexe et que nous ne savons pas tout. Nous devons nous placer dans une posture d’écoute. Cela signifie que notre expérimentation doit rassembler une diversité de  personnes qui partagent leurs regards et s’écoutent mutuellement pour enrichir leur compréhension du sujet.

[SCHEMA] En mettant en relation Safia, Brigitte, Alain et Michel, leur vision de la précarité énergétique devient plus complète. Les postures des unes et des autres sont compréhensibles, et peuvent éventuellement mener à des évolutions de pratiques.

b- Au départ, un enjeu social : la précarité énergétique

Le quartier de l’Epeule est un ancien quartier ouvrier et populaire de la ville de Roubaix. Il compte 4 500 habitants en situation sociale très fragile dans une ville qui elle-même recense 43% de ménages sous le seuil de pauvreté en 2019 (Source : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-Ccmsa, Fichier localisé social et fiscal en géographie au 01/01/2021) et 31% de taux de chômage des 15 à 64 ans en 2018 (Sources : Insee, RP2013 et RP2018 exploitations principales en géographie au 01/01/2021). C’est le quartier dans lequel le Collectif des Possibles vit aujourd’hui. Les membres du Collectif eux vivent ou agissent à Roubaix, à l’Epeule, et plus largement dans toute la métropole lilloise.

La Baraka est le premier lieu dans lequel le Collectif des Possibles se retrouve. Constitué en coopérative, Baraka se voit comme un tiers lieu de la transition : un lieu ouvert pour travailler, manger, partager et inventer un monde sobre en carbone, respectueux de la biodiversité et solidaire. Le lieu propose des espaces de travail et un restaurant.

[ILLUSTRATION] BARAKA, aquarelle du bâtiment.

Depuis juin 2021, le Collectif des Possibles s’est installé au Couvent des Clarisses et y tient ses permanences tous les mercredis après-midis. Ancien couvent, le lieu est aujourd’hui occupé par l’association roubaisienne Zerm qui réhabilite progressivement le bâtiment et l’ouvre à des associations du quartier. A terme, Zerm espère faire du Couvent une Maison de l’Economie Circulaire et du Zero Déchet.

[PHOTO] Couvent des Clarisses, Roubaix, 2020

C - Enfin, des protagonistes

Le Collectif des Possibles rassemble plusieurs organisations différentes de par leur nature et leur territoire d’implantation:

♦ La Fondation Rexel, une fondation qui se met au service du progrès énergétique et lutte contre la précarité énergétique ;

♦ Ouishare, une association qui a pour vocation de connecter les différentes sphères de la société, souvent éloignées les unes des autres, et œuvre pour plus de justice écologique et sociale ;

♦ Le GRAAL, une association roubaisienne qui accompagne les personnes dans leurs travaux de réhabilitation de leur logement et lutte contre l’habitat indigne ;

♦ Participation et Fraternité, une association qui vise à promouvoir et mettre en œuvre des démarches participatives à partir et avec les personnes en situation de précarité ;

♦ Voisin Malin, une association qui agit dans les quartiers populaires pour renforcer le pouvoir d'agir des habitants et recréer du lien entre eux et avec les institutions ;

♦ La Maison des familles Saint Martin,  lieu d'accueil et d'échange pour toutes les familles, où chacun peut partager son expérience, s'enrichir de celle des autres et trouver un soutien ;

♦ Les Compagnons bâtisseurs, mouvement associatif agissant sur l’amélioration de l’habitat, le développement de réseaux d’entraide, L’insertion par l’activité économique dans le domaine du bâtiment et l’accueil de jeunes volontaires.

Au-delà de ses organisations constitutives, le Collectif des Possibles rassemble avant tout des personnes. Rapide présentation de ses membres. 

♦ Brigitte : Habitante de Lille-Fives anciennement en situation de précarité, elle a réussi trouver un emploi stable grâce à Participation et Fraternité et participe au Collectif pour aider celles et ceux qui en ont besoin.

♦ Louisa : Habitante de Roubaix qui a réussi à réaliser une rénovation énergétique financée dans son logement, bien que des problèmes subsistent chez elle.

♦ Yvon : Membre de l’association Magdala qui aide les personnes en situation de fragilité à devenir actrices de leur vie et à trouver leur place dans la société. Yvon a traversé de nombreuses difficultés et participe au Collectif avant tout pour contribuer et soutenir d’autres personnes.

♦ Francis : Ayant connu la précarité énergétique dans son passé, Francis est toujours présent et volontaire pour partager ses connaissances et savoir-faire, comme fabriquer des produits ménagers à la maison par exemple.

♦ Daniel : Facilitateur d’échanges, Daniel œuvre pour donner la voix aux personnes en pauvreté sur des enjeux qui les concernent et pour lesquels elles n’ont très souvent pas leur mot à dire.

♦ Stéphanie : venue au Collectif en tant que directrice de la Fondation Abbé Pierre dans le département du Nord pour participer à cette dynamique collective, partager ses connaissances et créer des ponts avec d’autres. Stéphanie est désormais la référente et animatrice locale du Collectif à Roubaix.

♦ Catherine : Habitante de Roubaix qui a depuis longtemps des problèmes de logement et d’isolation.

♦ Guilaine : Locataire à Roubaix, Guilaine amène ses difficultés, expériences et savoirs au sein du collectif, avec sa volonté d'avancer.

♦ Tiphaine : Employée au sein du GRAAL, Tiphaine est une personne-clé, par sa connaissance des dispositifs techniques et administratifs..

♦ Zahia : Propriétaire d’une maison à Roubaix, Zahia commence toujours par partager ses connaissances, avant de s’en servir elle-même pour améliorer son logement.

♦ Safia : Anciennement médiatrice sur les enjeux énergétiques pour le bailleur social Vilogia, Safia est venue pour partager son savoir et contribuer à une dynamique collective.

♦ Juan Carlos : Toujours volontaire pour partager sa situation ou pour aider, Juan Carlos est aussi locataire auprès d’un bailleur social à Lille.

♦ Catherine S : Animatrice à la maison des familles Saint Martin, elle fait toujours attention à ne pas oublier certaines personnes qui peuvent avoir besoin de soutien.

♦ Camille : Consultante pour Energiesprong, Camille participe au Collectif pour apporter ses connaissances sur la rénovation des logements sociaux et se nourrir d’une dynamique collective qui privilégie l’écoute des habitants.

♦ Arthur : Membre de l’association Ouishare, Arthur participe à toutes les conversations, conçoit et anime les outils comme les temps collectifs, et représente le Collectif auprès d’autres organisations.

♦ Maïwenn : Membre de l’association Ouishare, Maïwenn conçoit et anime des rassemblements collectifs.

♦ Taoufik : Membre de l’association Ouishare, Taoufik contribue principalement au Collectif par son regard stratégique et méthodologique.

♦ Tanamiranga : Membre de l'association Ouishare, Tanamiranga est clé pour son apport en tant que designer et les captations graphiques qu’il a réalisées tout au long du projet. 

♦ Tom : Membre de l’association Ouishare, il a pris le relai de Tanamiranga sur le design des outils du collectif et notamment la dynamique de mise en lien des besoins et des ressources du collectif. 

♦ Bertrand : Directeur de la Fondation Rexel, Bertrand a initié la démarche ayant abouti à la formation du Collectif des Possibles à Roubaix. Il contribue au Collectif en tant que rassembleur, notamment auprès d’organisations nationales.

♦ Nordine : Directeur des Compagnons Bâtisseurs dans le département du Nord, Nordine apporte toute sa connaissance de la précarité énergétique et de l’implication de citoyens dans des travaux de rénovation énergétique.

♦ Elena : En charge de l’amélioration de l’habitat au sein de la Métropole Européenne de Lille, Elena amène un regard institutionnel et une expertise absolument nécessaire au développement du Collectif.

♦ Michel : correspondant EDF Solidarité, il partage toute son expertise et les dispositifs existant pour aider les personnes face à leurs difficultés énergétiques.

Maintenant que le décor est planté, l’histoire du Collectif des Possibles peut commencer.
Cette histoire est racontée par Ouishare, co-animateur et co-concepteur du Collectif des Possibles.
Les “nous” se rapportent au Collectif des Possibles. Il sera spécifié lorsque le “nous” est pour Ouishare.

Chapitre 1 Comprendre

A - [Dispositif] Un espace de rencontres et d’échanges

L’histoire du Collectif des Possibles commence en 2018. A ce moment, La Fondation Rexel et Ouishare organisent une série de rencontres entre personnes et organisations d’horizons différents pour croiser leurs points de vue relativement à la précarité énergétique. Ces rencontres rassemblent des habitant-es, des associations, des institutions mais aussi des artisans, tous ayant des regards différents et complémentaires sur ce phénomène. Certains temps sont en non mixité, pour permettre notamment aux habitant.es en situation de précarité énergétique de se retrouver entre eux et d’exprimer en toute confiance ce qu’ils vivent et ressentent au quotidien.

téléchargeR du livret
qui raconte cette phase

B - [Résultats] Une compréhension plus fine des situations de précarité énergétique

Ces rencontres permettent aux membres du Collectif de visualiser très concrètement les différentes réalités que recouvre la précarité énergétique pour les différents protagonistes. 

Pour les artisans et les associations qui accompagnent au quotidien ces ménages, la précarité énergétique renvoie à une activité : des travaux à réaliser pour les uns, des ménages à accompagner et des aides à distribuer pour les autres.

De façon intéressante, l’expression même de “précarité énergétique” est uniquement utilisée par les institutions. Les habitants qui vivent ces situations ont bien d’autres façons de la raconter… Pour elles et eux, la précarité énergétique est avant tout synonyme :

[ SCHEMA ] Captation graphique réalisée suite à un atelier d’expression en septembre 2018.

♦ d’une sensation de froid et d’humidité ;

♦ de factures trop chères ;

♦ d’un sentiment de honte et de peur exacerbé ;

♦ de l’impossibilité de recevoir chez soi ;

♦ d’un isolement inexorable ;

♦ de l’envie de réaliser des travaux chez soi ;

♦ etc.

Les facteurs psycho-sociaux ressortent davantage que des considérations financières ou techniques relatives au logement lorsque l’on demande aux habitant.es de mettre des mots sur leur situation de « précarité énergétique » . 

Pour découvrir davantage de témoignages d’habitant-es en situation de précarité énergétique, vous pouvez consulter le projet Silecourantpasse.

♦ d’une sensation de froid et d’humidité ;

♦ de factures trop chères ;

♦ d’un sentiment de honte et de peur exacerbé ;

♦ de l’impossibilité de recevoir chez soi ;

♦ d’un isolement inexorable ;

♦ de l’envie de réaliser des travaux chez soi ;

♦ etc.

Les facteurs psycho-sociaux ressortent davantage que des considérations financières ou techniques relatives au logement lorsque l’on demande aux habitant.es de mettre des mots sur leur situation de « précarité énergétique » . 

Pour découvrir davantage de témoignages d’habitant-es en situation de précarité énergétique, vous pouvez consulter le projet Silecourantpasse.

C - [Enseignements] De la complémentarité des points de vue

Ces premiers temps de rencontre et d’échanges ont permis de prouver la complémentarité des différents points de vue. Les perceptions de chacun et de chacune sur ce sujet méritent d’être croisées afin d’en avoir une connaissance plus complète. Les connaissances et expertises propres à chaque type d’acteur sont ainsi reconnues :

♦ Les pouvoirs publics sont reconnus comme ayant une connaissance globale et chiffrée du territoire : les aides distribuées, le taux de personnes en situation de précarité énergétique, etc. 

♦ Les artisans et ingénieurs sont reconnus pour leurs connaissances techniques sur le bâtiment, les techniques d’isolation et de chauffage et les espaces de déperdition d’énergie.

♦ Les acteur.trices associatif.ves sont reconnues pour leur capacité à accompagner des personnes qui en ont besoin.

♦ Les habitant.es sont reconnus pour leur expertise d’usage : ils et elles savent ce que cela signifie de vivre dans une passoire énergétique et ce que c’est que d’essayer de mener à bien une rénovation. 

C’est ainsi que l’expression “Tous sachants, tous apprenants” devient très vite, dès les premiers ateliers, la devise du Collectif qui est progressivement en train d’émerger.

Qu’est-ce que l’expertise d’usage?

On peut définir l’expertise d’usage comme une somme de compétences acquises au fil de l’expérience et transmissibles. Il s’agit aussi bien de savoirs, de savoir-être que de savoir-faire concernant l’utilisation quotidienne des espaces urbains, des espaces privatifs, des réseaux et des relations sociales de proximité. L’expertise d’usage ne peut être reconnue que si elle est valorisée de la conception à la réalisation d’un projet, et dans la mesure où les décideurs acceptent de laisser une forme de pouvoir aux usagers.

Chapitre 2

Fédérer

A - [Dispositif] Des groupes de travail pour forger le Collectif

En 2019, nous (Ouishare) organisons de nouveaux temps collectifs avec comme objectif de fédérer le collectif en lui donnant des valeurs, une raison d’être et un nom. Mais c’est avant tout le processus menant à cette identité collective qui doit fédérer le groupe et lui donner un sentiment d’appartenance commune.

B - [Résultats] Un nom, une raison-d’être et cinq valeurs

Cette étape de formulation de ce qui nous rassemble au sein du Collectif, alors appelé "L'Énergie des Possibles” puis rebaptisé “Le Collectif des Possibles”, a été structurante. Elle a permis au collectif de se rassembler et de s’inscrire collectivement dans une dynamique humaine authentique et singulière. 

Au fil de ces ateliers, les acteurs du collectif ont acté ensemble cinq valeurs et principes auxquels se référer - «Tous Sachants tous apprenants», bienveillance, confiance, solidarité, «Ne plus être seul.e» - ainsi que la raison d’être : «s’écouter, apprendre et échanger pour mettre nos forces en commun et cheminer ensemble pour sortir de la précarité énergétique.»

[ SCHEMA ] Captation graphique réalisée suite à un atelier de co-construction en juillet 2019

C - [Enseignements] Construire ensemble un cadre dans lequel chacun.e peut être acteur.ice

Construire collectivement les fondations du Collectif des Possibles a permis de casser la relation aidant / aidé et de mettre les habitants dans une posture d’acteur.ices agissants. En construisant ensemble notre socle de valeurs et notre raison d’être, nous nous sommes toutes et tous mis sur un pied d’égalité et avons acté le principe du faire ensemble. Cette dynamique horizontale, qui met les habitant-es en capacité d’agir, a les vertus de créer de la confiance et de la proximité entre les membres du Collectif, qui partagent toutes et tous une même intention (formalisée dans la raison d’être).

Cette approche va à rebours de nombreux services d’aide à la personne qui mettent une barrière (symbolique ou matérielle, lorsqu’il s’agit d’un guichet) entre l’aidant et l’aidé et placent l’aidé dans une posture passive de bénéficiaire. Les services institutionnels d’aide sociale sont alors perçus comme froids et distants, alors même que les personnes qui les sollicitent ont besoin d’empathie et de proximité humaine.

[ SCHEMA ] Représentation graphique de la frontière (du guichet) perçue par les habitant.e.s qui sollicitent un service d’aide en contraste avec les rencontres libres permises par le Collectif des Possibles.

Les bienfaits du temps long dans la construction de relations de confiance

Bâtir un cadre collectif fédérateur, tisser des relations de confiance entre des personnes qui ne se connaissent pas… autant d’éléments qui se construisent et se consolident sur le temps long. Là où l’on pourrait penser que le temps long pourrait diluer une dynamique de groupe, au contraire, nous constatons qu’il permet de fortifier l’interconnaissance et les relations informelles, et ainsi de nourrir la confiance réciproque. 

Nous (Ouishare) avons pris le parti de laisser passer du temps entre chaque temps collectif (au minimum un mois entre chaque plénière). Après trois ans, nous (Ouishare) sommes convaincus que l’inscription dans cette temporalité longue a été fondamentale dans la consolidation du collectif et l'implication de ses membres.

Chapitre 3

outiller

A - [Dispositif] Faire émerger des outils d’entraide

Dès 2020, une fois notre raison d’être définie - s’écouter, apprendre et échanger pour mettre nos forces en commun et cheminer ensemble pour sortir de la précarité énergétique - nous avons travaillé à élaborer des outils permettant de faciliter la “sortie de la précarité énergétique” des membres du Collectif. Par outils, nous faisons référence à des dispositifs physiques, numériques ou organisationnels qui permettent de répondre à un besoin dans un contexte bien précis. Une permanence ou un livret peut ainsi être un outil. 

Nous pensons d’abord ces outils comme des ressources permettant de répondre directement aux besoins des membres du Collectif. L’émergence d’un outil suit alors un processus bien défini :

  1. Identification d’une difficulté ressentie par un membre du Collectif lors d’un temps collectif ou d’un échange individuel ;
  2. Mise en discussion pour voir si cette difficulté est partagée et afin de mieux comprendre la situation ;
  3. Si la difficulté est partagée, élaboration d’idées permettant de répondre au besoin exprimé ;
  4. Prototypage d’un premier outil simple par un designer ;
  5. Test et amélioration de l’outil en fonction des retours de ses utilisateurs.

Nous imaginons et prototypons donc ces outils à partir des vécus individuels et des besoins ressentis par chacun-e. Cela suppose donc de qualifier précisément les situations individuelles, ce qui n’est pas facile car les habitant.es n’ont pas forcément ni l’envie ni les moyens de verbaliser les difficultés qu’ils et elles rencontrent. D’autant plus lorsque nous essayons de revenir à la “racine” de leurs problèmes, c’est-à-dire de découvrir les freins sous-jacents à leur parcours de sortie de la précarité énergétique.

A ce moment-là, nous avons en effet formalisé un “parcours-type” de sortie de la précarité énergétique et concevons des outils pour chacune de ses étapes-clés. Toutes les personnes participant au Collectif sont alors identifiées comme étant à un endroit précis du parcours et disposent d’un certain nombre d’outils leur permettant d’avancer, à leur rythme, dans celui-ci.

[ SCHEMA ] Représentation graphique de l’outil comme une construction collective.

B - [Résultats] Emergence, prototypage, test et évolution des outils

Ce processus d’émergence et de prototypage d’outils a permis d’en concevoir un certain nombre. 

Par exemple, un problème récurrent pour les membres du Collectif concerne la capacité des artisans à éditer des devis parfaitement renseignés, afin d’être éligible au financement des travaux par l’Anah (Agence National pour l’Amélioration de l’Habitat). Quand le devis contient des erreurs (cela peut être sur l’orthographe d’un nom ou une dimension non précisée), cela génère une perte de temps conséquente tant pour l’artisan.e, l’habitant.e que pour l’organisation qui l’accompagne. Face à ce constat, nous imaginons un protocole permettant de réaliser un devis standard facilement.

[LIENS INTERNES] LIEN Protocole de devis

Autre exemple : les habitant.es racontent ne pas être à l’aise avec le fait d’aller à un guichet pour obtenir de l’aide et accéder à leurs droits. C’est pour répondre à ce besoin que nous imaginons dans un premier temps les permanences - des temps conviviaux pour partager sa situation et obtenir la bonne orientation auprès d’une personne de confiance du Collectif des Possibles - et puis ultérieurement les Brico Cafés - des temps de rencontre avec les professionnels de la précarité énergétique autour d’un café, pour traiter directement son problème et obtenir l’information que l’on souhaite dans un endroit neutre (non stigmatisé) et un cadre convivial.

[LIENS INTERNES] LIEN OUTIL PERMA V1 et V2 et Brico Café

Dernier exemple autour de la difficulté à comprendre la technicité de son logement, de son système d'isolation et de chauffage. Ce problème est notamment remonté à plusieurs reprises par Marie-Noelle et Fatima mais est manifestement partagé par les autres membres du Collectif. Plusieurs idées émergent alors : organiser des ateliers de lecture de devis, se faire assister par un pair lors des visites des artisans, disposer d’un guide permettant de mieux comprendre les aspects techniques de son logement, etc. Finalement, nous aboutissons à l’idée d’élaborer un guide du bâti qui serait vivant et approprié par toutes et tous. Conçu dans un format de fiches détachables, il est pensé pour être présenté et expliqué par une personne à l’oral.

Ce que nous voulons à tout prix éviter, c’est le document qui vieillit sur une étagère et n’est lu par personne. Pendant près de six mois, des membres du Collectif se sont donc réunis pour construire cet outil, décider des thèmes abordés, récolter la matière, écrire et dessiner avec exigence pour être à la fois précis et éviter le jargon technique qui empêche la bonne compréhension et génère de la défiance. Depuis juin 2021, le guide existe et est animé par les membres du Collectif. Il est utilisé comme support d’explications pour aider une habitant.e à lire un devis ou à échanger avec un artisan.e.

Cette façon d'imaginer des outils nous a bien entendu conduits à faire évoluer, voire parfois à abandonner, des prototypes qui ne fonctionnaient pas ou répondaient à un besoin qui n’étaient tout compte fait pas tant partagé ou prioritaire pour les membres du Collectif. A titre d’exemple, le protocole de devis cité en exemple ci-dessus n’a pas fonctionné. 

D’abord imaginés pour répondre aux besoins des membres du Collectif, les outils se destinent à partir de juin 2021 à un public plus large. Nous souhaitons faire bénéficier à davantage de personnes, au-delà même du Collectif, les outils construits collectivement.

Fiche détachable “Traitement de l’humidité” extraite du Guide du Bâti

C - [Enseignements] Les outils au service du pouvoir d’agir des habitant.es

A mesure que le collectif gagne en maturité, l’équipe change progressivement d’avis sur la façon de penser et concevoir les “outils”. En effet, si notre raison d’être est de “cheminer ensemble pour sortir de la précarité énergétique”, pourquoi ne pas travailler des outils qui vont favoriser l’échange plutôt que d’apporter une solution qui manquera toujours de contexte, qui aura toujours un cadre trop rigide pour permettre aux personnes d’en bénéficier à un instant t bien spécifique ?

De la conception des outils comme ressources, nous les envisageons petit à petit comme des moyens permettant aux habitant.es de gagner en confiance et donc en pouvoir d’agir. Comment ?

Par le processus d’élaboration collective des outils, qui implique et place les habitant.es dans une posture d’acteur.ices, et par leur utilisation comme supports et soutiens à l’échange entre pairs.

C’est dans cette optique que nous concevons le guide du bâti : non pas comme un document figé, à consulter sur étagère pour trouver une réponse à sa question, mais comme un support pour la discussion entre des personnes qui cherchent à mieux comprendre comment fonctionne leur logement. Avec ce support, les habitant.es prennent plus facilement la parole, elles se sentent mieux armées.

Après trois ans de vie du Collectif des Possibles, nous avons imaginé et conçu de nombreux outils. Rétrospectivement, nous (Ouishare) pouvons les organiser en cinq catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques :

CATÉGORIES D’OUTILS DU COLLECTIF DES POSSIBLES

STRUCTURATION

Pour les outils d’organisation tels que les ateliers de construction du collectif, de sa gestion et de sa raison d’être.
RELATION ARTISAN.E-HABITANT.E 

Pour les outils ayant comme objectif de faciliter le lien entre les habitant.es et les artisan.es.
SOUTIEN AU CHEMINEMENT 

Pour les outils qui concernent la capacité à avancer d’une personne, à se poser les bonnes questions et à faire les meilleurs choix pour elle.
INFORMATION 

Pour les outils qui touchent à notre capacité à communiquer au sein du Collectif.
INFLUENCE 

Pour les outils qui nous permettent de montrer au-delà de Roubaix ce que le Collectif des Possibles.

Dans son ouvrage Radical Help, la designer sociale Hillary Cottam expose sa vision de l’aide sociale, qui doit placer les relations avant toute autre chose (relationships above all) et miser sur les capacités et l’autonomisation des personnes - une approche à laquelle nous souscrivons totalement et qui s'illustre dans notre conception des “outils” d’aide à la sortie de la précarité énergétique. 

Selon elle, les relations sont la base du “bien-vivre”. Elles apportent de la joie, ouvrent les possibles et permettent de développer des capacités nouvelles. En tissant des relations, chacun-e contribue à sa santé et à celle de sa communauté. A l’inverse, sans liens, il est rare de se sentir épanoui-es, ou même simplement vivre. C’est tout l’enjeu, selon elle, de la solidarité au 21ème siècle : miser sur les personnes et les relations.

[ SCHEMA ] Schéma représentant les principes de la solidarité du 21e siècle selon Hillary Cottam, autrice de Radical Help

Chapitre 4

Structurer

A - [Dispositif] Différentes instances pour organiser la vie du Collectif

Tant par son format multi-acteurs et contributif que par sa dimension exploratoire, le Collectif des Possibles soulève de nombreuses questions d’organisation : qui agit où ? Comment se répartissent les responsabilités ? Qui décide ? Autant de questionnements qui nous (Ouishare) ont accompagnés tout au long de notre démarche. 

Rapidement, différents rôles ont émergé au sein du Collectif des Possibles :

  • Un rôle de pilotage donnant la vision et les orientations stratégiques pour le Collectif ;
  • Un rôle d’animation de terrain porté par des référent.es de terrain et concrétisé notamment par l’organisation régulière de plénières et des échanges réguliers avec les habitants ;
  • Un rôle de conception de prototypes assuré par un designer ;
  • Un rôle de coordination et de suivi des actions. 

Ces rôles ont été pris, au démarrage, avant tout par les organisations initiatrices de la démarche : la Fondation Rexel, Ouishare et Participation et Fraternité.

B - [RÉSULTATS] DES INSTANCES EN PERPÉTUELLE ÉVOLUTION

Très vite, nous (Ouishare) nous interrogeons sur ce premier modèle d’organisation qui place les trois organisations à l’initiative du Collectif des Possibles au cœur. En effet, qui de mieux pour piloter un Collectif sur la précarité énergétique que celles et ceux qui se sentent concerné.e.s, qui souhaitent comprendre et agir pour eux-mêmes ou pour aider autrui ? 

Dès lors que nous affirmons que chacun.e a une valeur à apporter au Collectif par sa perception de la précarité énergétique, toute décision devrait être prise en concertation avec toutes et tous. Pour autant, toute idée ou action ne concerne pas forcément l’ensemble du Collectif et ne doit pas être décidée à trente.

Progressivement, différentes instances collectives et espaces de prise d’initiative se structurent et permettent notamment d'intégrer les habitant.es au Comité de Pilotage du Collectif des Possibles. Chemin faisant, nous tendons vers une plus grande répartition du travail et une horizontalité entre les structures et les individus - habitant.e.s, artisans, membres d’autres associations et de services d’aides roubaisiens, etc.

[ SCHEMA ] Schéma de représentation des groupes et de leurs rôles dans le collectif datant de novembre 2020

C - [ENSEIGNEMENTS] L’OUVERTURE COMME PRINCIPE ET L’AUTONOMIE COMME HORIZON

L’expérience du Collectif des Possibles montre que la diversité des points de vue est plus importante que la représentativité. Il s’agit avant tout de s’ouvrir et d’écouter ce que les différentes personnes - habitant.es, artisan.es, associations - ont à partager relativement à leur expérience de la précarité énergétique. Plus les regards croisés sont pluriels, plus la vision que l’on se fait du problème sera complète et riche. Et plus à même nous serons d’en comprendre les ressorts et les pistes d’amélioration. Cette pluralité des regards doit s’incarner dans les instances de pilotage de la démarche, sans quoi elle restera incomplète.

Le Collectif des Possibles montre en outre qu’il faut faire place aux habitant.es pour renforcer leur capacité à prendre des initiatives et à être autonomes. En leur ouvrant les portes du Comité de Pilotage, nous (Ouishare) avons en effet constaté une plus grande implication et un changement de posture de leur part.

[ SCHEMA ] En mettant en relation Safia, Brigitte, Alain et Michel, leur vision de la précarité énergétique devient plus complète. Les postures des un.es et des autres sont compréhensibles, et peuvent éventuellement mener à des évolutions de pratiques.

Une plus grande autonomisation des membres à la faveur du Covid

En 2020, la pandémie de Covid19 a forcé le Collectif des Possibles à se retrouver à distance, par téléphone ou en visioconférence. Etonnamment, cette nouvelle configuration nous a fait gagner en autonomie et a accéléré de nombreux chantiers sur lesquels nous travaillions.

[ SCHEMA ] Captation graphique lors de nos premiers temps d’échanges à distance en avril 2020

Pendant les périodes de confinement, nous nous sommes retrouvés plus fréquemment et en plus petit comité. Alors que les plénières étaient rendues, de fait, impossibles par la situation sanitaire, une organisation “par chantiers” s’est mise en place. Elle a permis d’avancer concrètement et en petits groupes sur la mise en œuvre d’idées qui avaient émergé dans le Collectif. Ont ainsi été lancés les chantiers suivants : le Guide du bâti, la liste des artisans, trouver un Lieu pour le collectif, le Challenge des possibles, la Communication…

Un outil de messagerie en ligne, accessible depuis une application, a également été mis en place pour celles et ceux qui pouvaient l’utiliser (l’accès à internet, à un smartphone ou à un ordinateur ne va pas de soi pour des personnes en isolement ou en précarité), ce qui a facilité le lien entre les personnes qui s’y sont connectées.

D - DES QUESTIONS EN SUSPENS…

En 2019, nous (Ouishare) nous sommes posés la question suivante : pour assurer le rôle de “référent de terrain”, est-ce qu’un salarié à plein temps et sur place ne serait pas plus pertinent que quelques personnes travaillant avec des volumes horaires variés sur le Collectif et n’étant pas présentes tous les jours à Roubaix ? 

Suite à ces réflexions, un effort a été fait pour structurer le Collectif. D’une part, de plus en plus de responsabilités ont été prises par les membres qui habitent sur place. De l’autre, une personne a été salariée à temps plein pour jouer ce rôle de référente locale.

Finalement, il semble que la réponse à cette question dépende de la maturité du Collectif. De fait, la solution actuelle semble plus adaptée au Collectif tel qu’il est aujourd’hui que tel qu’il était il y a trois ans.

Une autre question épineuse à laquelle le Collectif s’est heurté est la suivante : dans quelle mesure doit-on rémunérer les personnes qui contribuent au collectif, et au nom de quoi ? D’un côté, il peut s’agir de rémunérer du temps passé, partant du principe que le temps de chacun est précieux - pour les habitants, qui viennent sur leur temps personnel comme pour les professionnels qui viennent sur leur temps ouvré. Pour ces derniers, la question se pose de façon plus précise encore. 

En effet, les organisations ne sont pas financées pour que leurs collaborateurs participent à des structures contributives telles que le Collectif des Possibles. Bien souvent, elles sont financées par projet ou encore par nombre de dossiers traités. Par exemple, le temps qu’Alain et Tiphaine investissent dans le Collectif des Possibles est un temps qui ne rapporte pas d’argent à la structure qui les emploie, le GRAAL, à la différence de leur temps passé à accompagner des ménages à monter des dossiers de financement pour l’Anah. Dans ce contexte, faudrait-il envisager que le Collectif des Possibles finance directement le temps que ses membres y dédient, afin pallier cette difficulté à mobiliser des personnes sur leur temps de travail ? Ou faudrait-il tout simplement plaider pour un changement des méthodes de financement des organisations, qui permette d’octroyer du temps aux initiatives porteuses de sens telles que le Collectif des Possibles ?

Du côté des habitant.es, outre le motif du temps passé, leur expertise d’usage pourrait légitimement être rémunérée, elle est précieuse à toutes et tous pour mieux comprendre le phénomène de la précarité énergétique. Pourquoi cette expertise serait-elle partagée gratuitement là où de nombreuses expertises peuvent coûter très cher à mobiliser ? 

Ces interrogations sur la possibilité de rémunérer les membres du Collectif se heurte pourtant à la philosophie qui nous porte toutes et tous : en tant qu’espace d’entraide, le Collectif des Possibles se pense comme un espace sans transactions financières. En outre, sachant que les habitant.es qui participent au Collectif des Possibles sont motivées par un besoin social autant que technique, créer une forme de dépendance financière vis-à-vis du groupe ne semblait pas soutenable ou pérenne, d’autant plus tans que sa gouvernance n’était pas clarifiée et structurée.

Depuis juin 2021, certaines missions liées au développement du Collectif des Possibles commencent à se dessiner beaucoup plus clairement et permettent d’envisager sous un nouveau jour cette question de la rémunération. Parmi ces missions, on trouve : 

♦ Animer plusieurs ateliers du Brico-café, ce qui inclut de mobiliser des expert-es, s’assurer de la disponibilité de la salle, gérer les boissons et autres encas, etc. ;

♦ Animer le guide du bâti, ce qui implique de se rapprocher d’autres organisations pour communiquer sur l’outil ;

♦ Tenir la permanence hebdomadaire du Collectif des Possibles.

[ SCHEMA ] Captation graphique de l’atelier sur les activités rémunératrices en novembre 2021

Enfin, la question d’une structure juridique pour le Collectif des Possibles s’est posée. Aujourd’hui, le Collectif des Possibles constitue un espace qui rassemble de nombreux acteurs, s’organise selon une gouvernance participative, mais n’a pas d’existence juridique propre.

Est-ce qu’un statut associatif ne permettrait pas au collectif d’inscrire dans la durée les engagements des un.es et des autres ? Une entreprise à but social permettrait-elle de développer une activité de rénovation en lien avec l’entreprise Rexel ? Certes, ne pas avoir de structure juridique permet de minimiser le travail administratif lié au Collectif des Possibles.

Cela dit, cette non existence juridique laisse aussi planer un flou sur l’identité du Collectif. En effet, si les activités du Collectif sont financées par la Fondation Rexel, s’agit-il du Collectif des Possibles de la Fondation Rexel ? Il est par exemple étonnant, dans la bouche d’habitants, le propos suivant : "Je fais partie de la fondation Rexel depuis 3 ans". Et en tant que financeur, la fondation n’est-elle pas à juste titre la plus à même de prendre des orientations et décisions qui structurent le Collectif ? Pour l’instant, nous avons pris le parti de privilégier la simplicité et l’agilité en ne nous structurant pas juridiquement.

Chapitre 5

évaluer

A - [Dispositif] Le besoin d’indicateurs

Le besoin de mesurer l’impact généré par le Collectif des Possibles a émergé relativement tôt. Est-ce que le Collectif et ses activités génèrent des effets ? Lesquels ? Est-ce réellement le Collectif des Possibles qui permet cela ? Une autre démarche aurait-elle été, à moyens constants, plus transformative ? Autant de questions que l’ensemble des parties prenantes du Collectif, et notamment le financeur, se pose. 

La notion d’impact, très utilisée de nos jours, mérite déjà que l’on s’y arrête quelques secondes.

“L’impact suppose une transformation évidente, radicale, rapide, percutante. Et pourtant, la création de valeur ne se réduit pas à la création d’impact. Les résultats peuvent être progressifs et incrémentaux. A l’inverse, quid des effets rebonds, uniquement appréhendables sur le temps long ? Et du vécu psychosocial qui ne peut pas être quantifié ?” La précarité énergétique, une rhétorique de dépolitisation, Rapport d’analyse réalisé à partir du Collectif des Possibles

Il semble donc important, non seulement d’évaluer les effets de nos actions sur le temps long, mais également de ne pas les circonscrire à des données chiffrées, nécessairement réductrices et aveugles à la dimension psychosociale de la précarité énergétique. Qu’est-ce que nous disent le nombre de dossiers de financement de travaux acceptés, le nombre de personnes participant aux différents temps de rencontre du Collectif des Possibles, ou encore le nombre d’outils réalisés au sein du Collectif ? Décorrelés d’indicateurs plus qualitatifs, permettant de rendre compte du contexte psychique et social dans lequel les personnes évoluent, pas grand chose.

Il s’agit également de définir précisément ce que l’on souhaite mesurer et évaluer. S’intéresse-t-on aux travaux de rénovation énergétique : ont-ils été entamés, voire terminés ? Mais ces travaux mettent-ils seulement fin à la précarité énergétique ? Si une personne dont la maison a été rénovée rencontre un problème de plomberie, de chaudière, d’isolation ou de menuiserie, sera-t-elle capable de l’identifier et d’avoir les bons réflexes pour le résoudre ? Au sein du Collectif des Possibles, nous cherchons à développer le pouvoir d’agir des habitant.es. Nous souhaitons permettre à chaque personne de comprendre sa situation, d’identifier les ressources disponibles pour l’aider, de mettre des mots sur les difficultés auxquelles elle fait face, et d’être en capacité de faire les choix qui lui semblent les meilleurs en fonction de sa situation.

[ SCHEMA ] Représentation graphique des situations d'incompréhension et de compréhension des différentes facettes techniques de la précarité énergétique

Mi 2019, nous élaborons un questionnaire et menons quelques entretiens pour rendre compte des effets du Collectif des Possibles sur les un.es et aux autres. Cependant, pris par les enjeux de développement du Collectif et certaines problématiques opérationnelles, nous n’avons pas insisté et n’avons récolté que peu de réponses.

Du côté du financeur, son apport financier a permis de produire un certain nombre de contenus qui peuvent être communiqués plus largement : captations graphiques, photos, verbatims, Guide du bâti, etc. Son soutien a également rendu possible l’organisation de temps d’échange avec les collaborateurs de Rexel, lors de l’Innovation day 2019 par exemple.

Enfin, sa participation au Collectif des Possibles lui donne accès à des témoignages, des expertises et des expériences de la précarité énergétique qui alimentent sa compréhension du phénomène et lui permettent d’être plus pertinent dans ses actions, au-delà même du Collectif des Possibles à Roubaix.

Les apports sont donc en réalité réciproques. Les autres financeurs plus ponctuels, la Métropole Européenne de Lille et la Fondation de France, ont également participé et bénéficié des enseignements du Collectif des Possibles. 

Dans le fonctionnement du collectif en 2022, une part importante est donnée au suivi des effets du collectif et de ses actions.

C - [ENSEIGNEMENTS] DE L'IMPORTANCE DES INDICATEURS SUBJECTIFS ET DES FACTEURS PSYCHOSOCIAUX

Aujourd’hui, après trois ans de travail et de réflexion sur le sujet de l'évaluation, nous l’envisageons dans sa dimension subjective. Nous nous intéressons à des d’indicateurs tels que :

♦ la capacité d’un habitant.e à lire un devis ou à discuter avec un.e artisan.e d’aspects techniques relatifs au logement ;

♦ la confiance en soi et dans leur expertise d’usage des habitant.es ; 

♦ la capacité des habitant.es à faire leurs propres choix, voire leurs propres travaux.

D’une façon plus large, nous souhaitons évaluer ce que produit le Collectif des Possibles et ses différents outils sur ses différentes parties prenantes. Pour cela, nous devons identifier, pour chaque outil, l’objectif qu’il poursuit et les personnes qu’il touche, directement ou indirectement. Par exemple, si l’on se pose la question de l’intérêt du Guide du bâti pour faciliter le dialogue entre artisan-es et habitant-es, il faudra croiser les différents les points de vue à ce sujet :

♦ Les habitant-es pourraient dire : “Oui cela m’a permis de discuter de l’épaisseur de l’isolant avec l’artisan-e et de la capacité isolante de la laine de verre et de la laine de bois”

♦ Les artisan-es pourraient dire : “Je ne sais pas on ne m’a pas parlé de guide et je ne l’ai jamais vu : je n’ai pas d’avis”

♦ Les associations pourraient dire : “Cela a l’air plutôt aidant, un.e habitant.e m’a d’ailleurs parlé de sa compréhension technique de son logement.” 

Les pouvoirs publics pourraient dire : “Cela n’a pas l’air très efficace : les chiffres ne montrent aucune évolution et le guide ne semble pas assez technique.”

Fort de ces informations, le Collectif des Possibles peut choisir de faire évoluer (ou non) le Guide du Bâti de manière à répondre mieux aux besoins de tel ou telle acteur-trice.

Chapitre 6

S'ouvrir

A - Prendre la parole

Lorsqu’en 2018 nous avons compris qu’approcher le sujet de la précarité énergétique uniquement par ses dimensions financière et technique (les aides au paiement des factures et à la rénovation des logements) était une impasse, nous avons voulu prendre la parole. Nous souhaitions mettre en lumière le vécu et la parole des premiers concernés par ce phénomène - les habitants en situation de précarité énergétique - afin de faire évoluer les politiques publiques et privées en la matière. 

Grâce à l’étendue du réseau de la Fondation Rexel dans le monde de la précarité énergétique, le Collectif a pu prendre la parole à plusieurs occasions :

♦ lors de l’événement Convergences en 2019, sur une session dédiée à la lutte contre l’exclusion énergétique au cours de laquelle Yvon a pu partager la réalité de la précarité énergétique du point de vue d’un habitant ;

♦ à l’école des Mines de Paris, pour éclairer des étudiant.es qui travaillaient sur le sujet de la précarité énergétique avec la commune des Mureaux ;

♦ avec la député Marjolaine Meynier-Millefert qui était en 2020 sur le point de terminer la rédaction d’une proposition de loi autour de la question énergétique, qui a pu être étudiée et commentée par les membres du Collectif ;

♦ avec des entrepreneurs participant à une compétition organisée par Energiesprong [Outil Energiesprong] en 2021, en tant que jury, afin de leur apporter la perspective des habitant-es sur les situations de précarité énergétique ;

lors de l’Innovation Day de la Fondation Rexel en 2019, qui a aussi été un moment clé de l’ouverture du Collectif au-delà de Roubaix.

B - ECRIRE

Plusieurs contenus ont également été écrits afin de documenter la démarche initiée par le Collectif des Possibles. Ce faisant, nous avons pris du recul sur nos propres actions et sommes parvenus à mieux cerner nos réussites et nos marges de progression. Ce travail de documentation doit également permettre de faciliter la réplication d’initiatives telles que le Collectif des Possibles ailleurs, avec d’autres organisations et même potentiellement sur d’autres sujets que celui de la précarité énergétique. 

Nous avons donc produit :

♦ un livret qui raconte l’histoire des premiers mois du Collectif des Possibles et permet de comprendre l'intérêt d’une approche collective sur le sujet de la précarité énergétique ;[Ressource livret

♦ deux études de cas explicitant l’intérêt de travailler une question sociale avec les premiers concernés : Concevoir des solutions à la précarité énergétique avec les premiers concernés et Habiter ensemble nos questions sociales

♦ un travail approfondi d’analyse sur les ressorts du discours portant sur la précarité énergétique et des politiques mises en œuvre pour y remédier : La précarité énergétique : une rhétorique de dépolitisation. En quoi le discours de la précarité énergétique invisibilise-t-il les conditions systémiques de production de la pauvreté ? Techniciser, calculer, dépolitiser.

♦ la documentation que vous êtes en train de lire qui retrace les différentes étapes et questionnements ayant ponctué la construction du Collectif des Possibles

C - [ENSEIGNEMENT] FAIRE PLACE AUX PREMIERS CONCERNÉS

Lors de chacune de ces interventions et dans l’écriture de ces différents livrables, nous avons pris le soin de laisser aux membres du Collectif des Possibles la possibilité de s’exprimer par et pour eux-mêmes. Pour une raison simple : ils et elles sont de véritables experts de la précarité énergétique, au même titre que des expert-es scientifiques ou techniques.

Conclusion

Quelques perspectives pour finir…

A - UN ESPACE D’OUVERTURE ET D’ÉCOUTE QUI RÉPOND À DES BESOINS PRÉCIS

En définitive, le Collectif des Possibles permet une encapacitation collective en étant tout à la fois un espace d’apprentissages, d’entraide, de valorisation individuelle, de socialisation, de soutien moral et d’égalité radicale et un objet commun duquel prendre soin.

Cela étant, cet espace et cet objet n’apportent pas la garantie d’aboutir à un habitat rénové, et pour cause : cela n’est pas son objectif premier.

Une personne qui a les idées claires sur ses besoins, connaît bien les dispositifs et tente d’avancer dans la rénovation de son logement sera certainement dubitative vis-à-vis de l’approche du Collectif car ce qu’elle vient chercher, ce n’est pas cet espace d’écoute et d’échange mais des avis techniques et un accompagnement administratif pour monter un dossier de subvention à l’Anah. Le temps dédié au Collectif pourra alors sembler improductif, et donc disproportionné par rapport aux effets recherchés. C’est par exemple le cas d’une participante du collectif. Elle a trouvé pendant un temps un soutien et une énergie dont elle avait besoin dans le Collectif. Puis, à un moment donné, elle n’y a plus trouvé les ressources qu’elle recherchait et l’investissement en temps au sein du Collectif ne lui a plus semblé équilibré.

Pour d’autres personnes, le Collectif peut exercer inconsciemment une forme de pression à avancer dans ses travaux ou tout simplement sa situation, ce qui peut être difficile à vivre. L'accueil entier, y compris intime, des personnes qui intègrent le Collectif peut aussi être déroutant pour certaines personnes, tant il est rare dans notre société et nos systèmes sociaux. Enfin, la dynamique de contribution et de mise en action au sein du Collectif, radicalement opposée au fonctionnement habituel des aides sociales, peut aussi être génératrice d’incompréhensions pour certain.es.

Le Collectif des Possibles ne répond donc (évidemment!) pas à tous les besoins. Les apports du Collectif des Possibles doivent être appréhendés sur le temps long, en miroir des besoins et des situations des personnes, eux-mêmes évolutifs et contextuels.

B - UNE OPPORTUNITÉ DE PLAIDOYER ET DE RÉPLICATION

Le Collectif des Possibles va continuer à vivre, évoluer et se développer à Roubaix, en restant toujours fidèle à sa raison d’être… à moins de la faire évoluer ? Au Collectif d’en décider !

Quant à Ouishare, nous allons porter un plaidoyer autour de la précarité énergétique et de la conception des aides publiques, pour que les personnes concernées soient toujours non seulement écoutées mais aussi associées aux dispositifs qui leur sont destinés.

Nous allons également travailler à diffuser la démarche “Collectif des Possibles” ailleurs qu’à Roubaix, éventuellement sur d’autres thématiques et avec d’autres organisations. Nous souhaitons continuer à faire la preuve par l’exemple que travailler collectivement à donner du pouvoir d’agir à chacun et chacune est la meilleure réponse que l’on peut apporter à un problème social donné.